mardi 18 octobre 2011

DIANE ARBUS AU JEU DE PAUME.

Couverture du livre de William Todd Schultz (2011)

"C'est comme si l'on entrait dans une hallucination sans trop savoir qui hallucine." (Diane Arbus)

Voici une exposition très attendue et qui comble toutes les espérances par sa perfection.

Courrez vite au Jeu de Paume. Et prenez votre temps. Tout est ici affaire de détails. De précision. Diane Arbus nous apprend à regarder ce qu'elle nomme à maintes reprises "la différence". A savoir l'ensemble de ces détails et "anomalies" formelles que l'on retrouve dans l'apparence physique, vestimentaire ou comportementale d'individus appartenant à des groupes humains généralement considérés comme marginaux : monstres de cirque et phénomènes de foire, nudistes, nains, travestis, handicapés, malades mentaux.

D'où la dimension ethnographique de la démarche d'Arbus. Ses premières photographies furent prises à l'occasion de reportages photographiques pour des magazines. Elle prit goût à la diversité humaine et demanda ensuite les autorisations administratives nécessaires pour continuer son périple et sa quête visuelle dans les lieux les plus fermés et les plus incongrus.

Photographier de jeunes handicapées, déguisées et masquées pour la fête d'Halloween, c'est là redoubler les rituels de la monstruosité et porter au carré le principe de la singularité et de l'inquiétante étrangeté. D'autant que le caractère joyeux de l'opération est bien visible sur les clichés.

Diane Arbus collectionne ainsi les rituels, fêtes et cérémonies, photographiant tout aussi bien - et de la même manière - tel cocktail mondain où se pressent et s'agglutinent les personnages caricaturaux "de la haute" société, les gestes décalés des enfants (tel l'enfant à la grenade de Central Park) ou les rituels populaires (camps de nudistes, dancings, etc.).

La "monstruosité" ordinaire et pourrait-on dire "accidentelle" est, elle aussi, bien présente dans l'œuvre d'Arbus : un enfant pleure, un personnage se retourne de manière grotesque, etc.

Chacun à notre tour nous avons nos instants de monstruosité, nos faciès "à la Arbus" : grimace, rictus, faute de "goût" vestimentaire. J'ai reconnu sur l'une des photographies de l'exposition le sosie du chapeau (improbable et des années 1950) que je venais de me procurer dans une friperie. Si le double d'Arbus venait à passer, il pourrait en immortaliser l'essayage.

Sensible certes à la monstruosité ordinaire, celle qui naquit Diane Nemerov fut d'abord et avant tout fascinée par ceux pour qui la distorsion (imposée) est une façon d'être au monde. "Les phénomènes de foire, écrivait-elle, sont déjà nés avec leur propre traumatisme. Ils ont déjà passé leur épreuve pour la vie. ce sont des aristocrates."

On retrouve au Jeu de Paume des photographies connues. Mais elles sont doublement accompagnées. D'une foule, tout d'abord, de photographies nouvelles et complémentaires. La vision des planches contacts permet ainsi de découvrir des séquences et des points de vue inédits ou peu diffusés. Comme cette photographie de Jorge Luis Borges dans Central Park,accompagné de sa femme et non plus seul comme sur le cliché connu.

L'exposition s'achève enfin sur deux salles contenant de précieux documents - notes, livres, articles de journaux, pot-pourri d'images amassées par Diane Arbus et qui constituait le paysage et le fond changeant de ses réflexions, de ses doutes et ses rêves. On découvre ainsi que, parmi les images et livres de sa bibliothèque, figuraient deux peintres dont la particularité est d'avoir travaillé et distordu la figure : Vincent van Gogh et Francis Bacon.

C'est dans le réel (et ses apparences) que Diane Arbus prélevait, quant à elle, ses figures distordues.

Exposition au Jeu de Paume

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